En Tunisie, l’allocation touristique, limitée à un plafond annuel de 6.000 dinars pour les devises étrangères, est depuis longtemps un sujet de débat et de frustration. Cette réglementation, bien qu’elle vise à protéger l’économie nationale en limitant la fuite des devises, se révèle insuffisante pour répondre aux besoins de nombreux Tunisiens. Alors que certains contournent les règles en se tournant vers le marché parallèle, d’autres appellent à une réforme en profondeur pour adapter la réglementation aux besoins actuels de la société tunisienne et de son économie.
Depuis plusieurs décennies, la Tunisie impose une réglementation stricte sur la sortie de devises pour ses résidents, dans le but de stabiliser l’économie nationale et de contrôler le flux de capitaux vers l’étranger.
Le plafond annuel de l’allocation touristique, fixé à 6.000 dinars, suscite de vives critiques parmi la population. Beaucoup considèrent cette somme insuffisante pour couvrir les frais associés aux voyages à l’étranger, qu’il s’agisse de tourisme, d’affaires ou de déplacements personnels. Malgré les attentes de la population et les rumeurs fréquentes de réformes pour augmenter ce plafond, aucune mesure concrète n’a encore été mise en place par les autorités. Cette inaction alimente le mécontentement général et souligne l’urgence d’une révision des politiques actuelles afin de mieux répondre aux besoins des citoyens tunisiens.
Et bien que l’allocation touristique ait pour objectif principal de faciliter les déplacements des Tunisiens à l’étranger, elle est encore limitée par ce plafond strict. Avec l’augmentation des besoins de mobilité internationale, ces règles deviennent de plus en plus critiquées et des appels à leur révision se multiplient, dans le but de mieux refléter les réalités économiques et sociales actuelles. Et donc, derrière cette façade de régulation, se cachent des défis et des frustrations pour les voyageurs, confrontés à des limitations financières et à une bureaucratie parfois lourde. Comment ce dispositif, conçu pour sécuriser les sorties de devises, est-il perçu par ceux qui en ont besoin ? Et quelles sont les conséquences de ces limitations sur l’économie tunisienne ?
Un atout ou un fardeau pour les Tunisiens ?
En Tunisie, l’allocation touristique est une provision financière permettant aux citoyens de convertir le dinar tunisien en devises étrangères lors de voyages à l’étranger. Ce mécanisme, instauré par les autorités, vise à réguler la sortie des devises tout en répondant aux besoins de mobilité des Tunisiens. Cependant, en pratique, il s’avère que ce dispositif se heurte à des limites importantes, devenant un sujet de frustration pour de nombreux voyageurs.
L’allocation touristique fonctionne de manière relativement simple : avant de partir, le voyageur se rend dans une banque ou un bureau de change agréé avec les documents nécessaires pour prouver son intention de voyager. Un montant en devises étrangères lui est alors alloué, basé sur divers critères, tels que la destination et la durée du séjour. Selon la réglementation en vigueur, un résident tunisien a droit à une allocation annuelle de 6.000 dinars. Ce montant peut également être alloué au conjoint et aux enfants, avec des plafonds ajustés en fonction de l’âge des enfants. Les données de la Banque centrale de Tunisie (BCT) montrent que les dépenses de voyages ont atteint 1.265 millions de dinars durant les cinq premiers mois de 2024, soit une augmentation de 5 % par rapport à la même période en 2023. Les allocations touristiques représentent à elles seules 45 % des dépenses de voyage, soulignant leur rôle crucial pour les Tunisiens voyageant à l’étranger. Cette allocation vise à offrir un moyen légal et sécurisé d’acquérir des devises étrangères, protégeant les voyageurs des fluctuations des taux de change, et facilitant la gestion budgétaire des dépenses de voyage.
Des limitations qui poussent au contournement
Malgré son importance, l’allocation touristique se heurte à des contraintes significatives. Le plafond de 6.000 dinars annuels par personne ne répond pas toujours aux besoins des voyageurs, particulièrement pour ceux qui voyagent régulièrement pour des raisons personnelles, professionnelles ou éducatives. Adel, un travailleur indépendant dans le domaine de la communication, incarne cette réalité. Pour son travail, il doit régulièrement se rendre en Europe et parfois au-delà, afin de rencontrer des clients, de participer à des formations et d’assister à des événements internationaux. «Mes frais de voyage pour un seul déplacement peuvent facilement atteindre la moitié de cette somme, sans compter l’hébergement et les repas… et parfois, je me trouve obligé de voyager à titre personnel…», explique-t-il.
Prenons aussi l’exemple de Imen, une jeune activiste de 38 ans, qui participe régulièrement à des conférences internationales. Avec le plafond actuel de l’allocation touristique, elle se trouve souvent contrainte de réduire la durée de ses séjours ou de renoncer à certaines opportunités professionnelles à l’étranger. «Chaque voyage devient un casse-tête financier», confie-t-elle.
Un autre exemple est celui de Sami, étudiant en informatique, qui a été accepté dans un programme de stage en Allemagne. Bien que ce soit une opportunité précieuse pour son avenir professionnel, Sami se retrouve face à un dilemme : le plafond de l’allocation touristique ne lui permet pas de couvrir les frais de logement et de subsistance pour la durée de son stage. Pour contourner cette limitation, il envisage de faire appel à des proches pour des virements ou même de recourir au marché parallèle pour obtenir les devises nécessaires.
Et dans l’état actuel des choses, en raison de ces limitations, de nombreux Tunisiens se tournent vers l’économie parallèle pour se procurer des devises. Les réseaux sociaux, notamment Facebook, sont devenus des plateformes où des échanges de devises non régulés s’effectuent. Les utilisateurs publient des annonces pour acheter ou vendre des euros et des dollars à des taux supérieurs à ceux fixés par la BCT, reflétant une demande non satisfaite par le système officiel.
«Le recours à ces échanges informels reste une opération risquée, bien sûr, mais pour certains voyageurs, c’est la seule option viable. Cependant, cette pratique n’est pas sans danger. Les transactions effectuées en dehors des circuits officiels exposent les participants à des risques d’arnaque, sans aucune protection légale en cas de litige. De plus, elles les exposent à des sanctions sévères, y compris des peines de prison et des amendes pour infraction aux règlements de change», explique Adel.
Réformer pour freiner l’économie parallèle
L’utilisation croissante du marché parallèle pour l’échange de devises a des conséquences néfastes pour l’économie tunisienne. Elle affaiblit la position de la Banque centrale en tant que régulateur, réduit les réserves en devises étrangères du pays, et crée un environnement où les activités économiques échappent au contrôle fiscal. La BCT a, à plusieurs reprises, exprimé son inquiétude face à cette situation, soulignant la nécessité d’une réforme en profondeur des politiques de change. La révision des plafonds d’allocation touristique, la simplification des procédures administratives et l’amélioration de l’accès aux devises sont des pistes qui pourraient être envisagées. Une approche plus flexible et adaptée à la réalité du marché mondial pourrait encourager l’utilisation des canaux officiels, réduisant ainsi la dépendance à l’économie parallèle. Les réformes pourraient inclure des mesures spécifiques pour les voyageurs afin de leur offrir des solutions adaptées à leurs besoins. Pour parvenir à une véritable libéralisation et convertibilité du dinar, il est crucial de rétablir la confiance dans la situation économique et politique de la Tunisie. L’objectif ne devrait pas seulement être de contrôler les flux de devises, mais aussi de soutenir l’intégration des Tunisiens dans l’économie mondiale. En équilibrant régulation et flexibilité, la Tunisie pourrait non seulement stabiliser ses réserves de devises, mais aussi encourager une croissance économique durable et inclusive.
« L’allocation touristique, bien que nécessaire, doit évoluer pour répondre aux attentes des citoyens tout en soutenant les objectifs économiques du pays. La réforme de cette allocation pourrait jouer un rôle clé dans la modernisation du cadre financier de la Tunisie, offrant aux citoyens la liberté de voyager, d’étudier, et de travailler à l’étranger sans les contraintes actuellement imposées par un plafond jugé restrictif. Une telle évolution, tout en soutenant les intérêts nationaux, pourrait également renforcer l’image de la Tunisie sur la scène internationale, en tant que pays ouvert et dynamique, prêt à répondre aux besoins de ses citoyens dans un monde globalisé», explique Imen, une jeune activiste tunisienne.